samedi 22 juin 2013

A Paris, la communauté brésilienne prépare sa manifestation - Le Monde

Plus de dix jours aprs les premires manifestations, la contestation ne faiblit pas. Alors qu'un million de personnes ont dfil dans les rues brsiliennes, jeudi 20 juin, les expatris fourbissent leurs slogans. Initialement prvue place Saint-Michel Paris, avec l'ambassade du Brsil en ligne de mire, la manifestation des Brsiliens vivant en France se droulera finalement samedi place de la Nation, sur ordre de la prfecture, en raison du millier de personnes attendu. En France comme au Brsil, les appels la mobilisation se sont rpandus comme une trane de poudre sur les rseaux sociaux.

"Nous avons cr un groupe de soutien aux manifestants avec deux amies, vendredi dernier 16 heures. Le soir-mme, plus de 1 000 personnes s'taient inscrites", s'tonne encore Fernanda Villar, 27 ans, tudiante en littrature compare, arrive en France il y a cinq ans en provenance de So Carlos. "Il est important d'exprimer notre solidarit aux manifestantset de leur montrer que tous les Brsiliens, mme expatris, sont concerns", explique Jos Luiz Neves, un des organisateurs du rassemblement, tudiant en philosophie la Sorbonne.

"TOUT S'EST ORGANIS SUR FACEBOOK..."

Cette mobilisation tonne. La communaut brsilienne en France compte environ 25000 personnes, mais "elle n'est pas regroupe ou unie, comme peut l'tre la communaut portugaise", note Lamartine Bio Oberg, 69 ans, prsident de l'association Bio pour la diffusion de la culture brsilienne. Tout juste se retrouve-t-elle, quelques fois par an, autour d'un vnement musical ou sportif. La plupart des expatris se fondent dans la socit en raison des "nombreux mariages mixtes", et les tudiants, de passage, ne sont pas un ciment communautaire suffisant.

Lire : Au Brsil, un mouvement social n en marge des partis politiques

Ici comme au Brsil, les manifestants ne rpondent pas un appel syndical, une association tudiante ou un parti politique, et "c'est ce qui plat tout le monde dans ce mouvement", avance Stefania Apuzzo, 26 ans, tudiante en master de coopration artistique internationale l'universit Paris-VIII arrive en France il y a neuf mois, pour expliquer la rapide et massive mobilisation. "Nous allons nous retrouver juste avant le rassemblement samedi, mais sinon, tout s'est organis sur Facebook et par mails", prcise-t-elle.

Une constante dans les dernires rvoltes, de Tunis Istanbul en passant par Tripoli, mme si chacun se garde de faire un rapprochement: "Le Brsil est une dmocratie", tranche Lamartine Bio Oberg, qui voque "une crise de croissance d'un jeune pays plutt qu'une volont de renverser un rgime". Karina Tavares, 36 ans, Paris depuis neuf ans, qui travaille pour une entreprise d'applications mobiles pour le sport, admet toutefois que les "changes entre les internautes brsiliens et turcs sont nombreux depuis le dbut des manifestations". Avant de repartir au Brsil, la semaine prochaine, elle sera bien prsente, avec son fils, la manifestation parisienne.

FRUSTRATION DE NE PAS TRE AU PAYS

Tous expriment galement leur "frustration" de ne pas tre sur place, chez eux, pour participer aux manifestations. "Il y avait 30000 personnes Belo Horizonte!", ville dont il est originaire, s'tonne encore Diogo Amara, qui a improvis Lille un rassemblement sur la Grand Place, mardi 18 juin. "L'ampleur des manifestations a surpris tout le monde", abonde Jos Luiz Neves. Chacun compte au moins un membre de sa famille, un ami ou une connaissance, qui participe aux manifestations. "J'ai des amis qui ne sont pas politiss, qui ne se sont jamais engags, que je vois se mobiliser pour la premire fois", s'enthousiasme Fernanda Villar. Des amis jeunes, et pour la plupart "issus de la classe moyenne", comme eux.

Rassemblement sur la Grand Place  Lille, le 18 juin.

La communaut brsilienne en France ressent une grande fiert de voir le monde les yeux rivs sur leur pays pour des sujets qui ne font pas partie du saint triptyque Football-Samba-Favela. L'image d'un "peuple humble, pacifiste, voire indolent, peu habitu manifester" est battue en brche. Il leur a donc sembl naturel de participer au mouvement, mme des milliers de kilomtres de leur patrie natale. "Nous voulons construire un vrai pays, et pas simplement une image destination de l'tranger, comme le font les politiques", poursuit Stefania Apuzzo. Silvana Conte, 48 ans, journaliste indpendante base Montpellier, se remmore ainsi la grande manifestation de 1984 laquelle elle avait particip, pour demander des lections directes, avant la chute de la dicatature militaire. Autre temps, autres revendications, mais "mme fiert".

"UN PETIT COUP DE PEINTURE SUR LE MARACANA AURAIT SUFFI"

Reste se mettre d'accord sur un "agenda commun", prcise Fernanda Villar. Les revendications sont en effet diverses et varies. La hausse du prix des transports en commun, sur laquelle les grandes municipalits sont depuis revenues, alors que "les conditions de vie dans les grandes villes sont pouvantables et que certaines personnes mettent quatre heures pour aller au travail", le piteux tat du systme de sant et d'ducation, la rpression policire, "cette police militaire, hritage de la dictature, mal entrane, mal paye",le cot de l'organisation de la Coupe du monde, alors qu'"un petit coup de peinture sur le Maracana aurait suffi".

Lire aussi (dition Abonns) : Au Brsil, le Parti des travailleurs a perdu le soutien de la nouvelle classe moyenne

Le mcontentement ne se cristallise pas non plus autour d'un nom. La prsidente, Dilma Roussef, a d'ailleurs t relativement pargne. Son parti, clabouss par des scandales de corruption, un peu moins. Mais les manifestants expriment avant tout "un rejet de la classe politique dans son ensemble", juge Lamartine Bio Oberg, et seront trs "vigilants contre toute tentative de rcupration politique", avertit Jos Luiz Neves. Une seule certitude : "la ncessit d'avoir un discours la fois libre et cohrent, et de cibler nos revendications",avance Stefania Apuzzo.

Paris ne sera pas la seule grande ville o les Brsiliens expatris se retrouveront pour exprimer leur soutien aux manifestants. Londres, Lisbonne, Porto, Amsterdam, Sydney, New York, Montral... le week-end sera marqu par des manifestations de Brsiliens parpills de par le monde. "Le gant se rveille", conclut, dans un sourire, Fernanda Villar.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire