samedi 15 juin 2013

le vote à contrecoeur des Iraniens de Paris - Le Point

La file est nettement moins longue qu'il y a quatre ans devant le consulat d'Iran. C'était en juin 2009. Tout de vert vêtus, des centaines d'Iraniens s'étaient précipités rue Iéna pour dire "au revoir" au président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad. La liesse était telle qu'un fonctionnaire de la chancellerie iranienne s'était même laissé aller à prédire publiquement la victoire du réformateur Mir Hossein Moussavi, chef de file du Mouvement vert. Bien mal lui en a pris. En Iran, l'affaire a été réglée dans le sang. Après des manifestations sans précédent, rassemblant des millions d'Iraniens, 150 personnes ont été tuées. Des centaines arrêtées.

Quatre ans plus tard, certains des visages souriants de 2009 sont de retour rue Iéna. Curieux, le choix étant cette année des plus restreint. Les deux candidats vaincus du Mouvement vert sont emprisonnés à résidence depuis deux ans, et seul un conservateur modéré, Hassan Rohani, a passé le filtre du Conseil des gardiens de la Constitution. Les cinq autres candidats sont des conservateurs, fidèles du Guide suprême, l'ayatollah Khamenei. C'est dire si l'élection a perdu de son intérêt.

Mot d'ordre : économie

Parmi les votants, reconnaissables à leur index vert qu'ils ont trempé dans le tampon encreur de l'ambassade, une jeune femme d'une trentaine d'années enlève son foulard blanc et remet ses lunettes, l'air satisfait. Azadeh vient de voter Rohani. À la suite de l'élimination de l'ancien président Hachemi Rafsandjani, ce religieux est devenu le candidat par défaut des réformateurs. La jeune Iranienne le sait et ne se fait guère d'illusions. "Ceci n'est pas un référendum pour ou contre la République islamique", prévient-elle d'emblée. "Il s'agit d'un choix entre celui des six candidats retenus qui nous convient le plus", souligne-t-elle.

Azadeh n'a pourtant pas effacé de sa mémoire tous les morts, prisonniers et exilés qui ont subi la foudre de la République islamique, alors qu'ils ne demandaient que le respect de leur vote. Mais aujourd'hui, le mot d'ordre n'est plus démocratie, mais économie. "Notre monnaie a été dévaluée, toutes les couches sociales de notre population souffrent de la paupérisation", raconte celle qui vit entre Paris et Téhéran. "Le plus important aujourd'hui est de sortir de cette situation catastrophique dans laquelle le pays est plongé. Et le seul espoir, c'est Hassan Rohani."

"C'est déjà une victoire"

À côté d'elle, adossé au mur du consulat, se tient un jeune homme vêtu d'une veste vert foncé. Sa barbe épaisse masque mal la souffrance qu'il a endurée. En juin 2009, Kamyar, 24 ans, faisait partie des manifestants pacifiques qui défilaient le 15 juin 2009 sur le boulevard Enghelab, au lendemain du vote qu'ils estimaient truqué. Mais la féroce réponse des autorités l'a amené à quitter son pays en 2010 et à demander l'asile en France. Pourquoi voter aujourd'hui alors que des dizaines de ses camarades sont toujours détenus derrière les barreaux de la funeste prison politique d'Evin ?

"Ces élections ne sont pas libres, admet-il. Mais il reste tout de même un choix, dont les Iraniens verront les effets à leur table." Preuve, selon lui, que le président n'a pas qu'un rôle de pacotille, le jeune évoque le bilan peu flatteur d'Ahmadinejad. "Il a ruiné l'économie du pays et l'image de l'Iran sur la scène internationale", insiste-t-il. Et le jeune homme d'évoquer l'espoir qu'a suscité la candidature d'un modéré dans les rues du pays. "C'est la magie de la société civile iranienne, s'émerveille-t-il. Tous ces gens ont utilisé cet infime espace de liberté pour s'exprimer. C'est déjà une victoire."

Face à la grille du consulat, Kiana, 28 ans, ne tient plus en place. Elle ne sait pas encore si elle va voter. "Ma tête me dit d'entrer dans ce consulat, comme le font tous mes amis, mais mon coeur m'en empêche", avoue-t-elle. "Comment le régime peut-il espérer que l'on vote pour l'un de ses candidats alors qu'il n'a pour l'heure rendu aucun compte après la répression de 2009", s'indigne-t-elle. "Où était ce fameux Hassan Rohani lorsque nos compatriotes se faisaient tuer en pleine rue ?" demande-t-elle maintenant. "Pour moi, cet homme, qui fait partie du sérail depuis trente ans, a la même vision que les autres dirigeants de la République islamique. Il a seulement changé de visage pour l'occasion."

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