vendredi 8 février 2013

Quand Paris se lève pour la Tunisie - Libération

Mercredi 6 février à 8h du matin, Chokri Belaïd, grande figure de la gauche tunisien, se fait abattre devant son domicile. La nouvelle se répand sur les réseaux sociaux. A 11h, l'avenue Habib Bourguiba, principale artère de la capitale, est déjà noire de monde. Au même moment à Paris, le page facebook de la section française du Front Populaire, auquel est rallié le parti de Chokri Belaïd, appelle à la mobilisation. Une heure plus tard, ils sont une centaine devant l'ambassade de Tunisie à Paris. Pour la plupart des sympathisants de gauche, mais aussi des citoyens venus rendre hommage au militant, et crier leur indignation.

La veille de son assassinat, lors d'une conférence de presse, Chokri Belaid avait dénoncé les agissements des islamistes au pouvoir, les accusant de «faire appel à la violence à chaque fois qu'ils se trouvent dans une impasse politique». Il avait également demandé à tous les partis politiques d'ouvrir un débat national sur l'escalade de la violence dans le pays.

Pour l'instant, aucune preuve n'atteste de l'implication d'un quelconque parti politique dans l'assassinat du leader de gauche. Mais les tunisiens présents à Paris mercredi matin, eux, n'ont aucun doute sur l'identité des commanditaires. «C'est une victime de la dictature islamiste d'Ennahda», accuse Lotfi Hammami, dans un discours improvisé à la place André Tardieu, vers laquelle les forces de l'ordre françaises ont dirigé les manifestants. L'émotion y est palpable. Même si certains ne partagent pas les opinions politiques de Chokri Belaïd, tous ont de l'admiration pour l'homme qu'il a été. Son combat durant les années Ben Ali lui valent le respect des démocrates, et ses interventions télévisées faisaient souvent le tour des réseaux sociaux. Chokri Belaid est apprécié pour ses prises de positions, pour sa liberté de ton et son franc parler. «Une grande gueule comme on n'en fait plus», regrette Aicha, étudiante tunisienne installée à Paris.

Après ce premier rassemblement spontané, les Tunisiens de Paris annoncent un deuxième rendez-vous à 18h via les réseaux sociaux. Devant le métro Saint-François-Xavier dans 7ème arrondissement, l'émotion du matin laisse désormais place à l'action. Ils sont plus nombreux cette fois-ci. Ils veulent assurément en découdre avec les islamistes au pouvoir. Tous appellent à la chute du régime et à la constitution d'un nouveau gouvernement d'union nationale. «Ghannouchi assassin», «Ennahdha dégage», scandent-ils, des slogans qui rappellent ceux d'un certain 14 janvier 2011 à Tunis, lors de la naissance historique d'un printemps arabe prometteur.

Les intervenants se succèdent au micro. De simples citoyens, des militants du Front Populaire, mais également des représentants du Front de Gauche et du NPA. Ils sont venus témoigner leur soutien à la gauche tunisienne, qui a perdu hier l'un de ses plus grands leaders, et encourager les jeunes tunisiens qui aspirent à une vraie révolution.

Sur les coups de 21h, tout le monde dégaine son smartphone. Les coups de fils fusent de toute part, Facebook et Twitter sont en ébullition. La nouvelle est confirmée : face à la montée de la contestation, le premier ministre Hamadi Jebali vient d'annoncer en direct à la télévision la dissolution de son gouvernement, et la constitution d'un gouvernement de technocrates. La joie s'empare des manifestants, des applaudissement et des cris de joies se succèdent pendant quelques minutes, puis tous chantent ensemble l'hymne nationale pour savourer la victoire. Ce soir, une grande bataille a été remportée par les progressistes, «mais la guerre contre la dictature naissante vient juste de commencer, précise Mehdi, la révolution continue !». Petit à petit, la foule se disperse. Ils rentrent chez eux, légèrement rassurés, mais doivent tout de même rester vigilants, jusqu'à la prochaine manifestation...

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