lundi 30 septembre 2013

L'autre Marseille - Marianne

«Pour les gens de Manosque, Marseille est une sorte de Moscou. Je veux dire, une ville de rêve. Ils conjuguent pendant toute leur vie le verbe "aller à Marseille" à tous les temps et à toutes les personnes...» Marseille, ville de rêve ? Peut-être avec Jean Giono, puisque c'est lui qui magnifie ainsi Marseille dans Noé, Giono racontant et inventant tout à la fois ces «petites places désertes où, [...] en plein été, au gros du soleil, Œdipe, les yeux crevés, apparaît sur le seuil et se met à beugler».

Marseille, ville de rêve ? Assurément dans ce Noé à placer au sommet de l'œuvre du Manosquin, admirable double balade, dans une cité mal connue comme sur les chemins compliqués de la création littéraire. Mais de ce rêve, que reste-t-il dans le Marseille des exécutions barbecues et des rues dépotoirs, tiraillé entre la nostalgie de ce qu'il n'est plus et la crainte de ce qu'il pourrait devenir, énervé par les maux qui l'accablent mais incapable d'y remédier ? Pourtant, les touristes accourent. De plus en plus nombreux.

Attirés par le soleil et la mer, qui n'ont jamais manqué au rendez-vous, et plus encore par les nouveaux habits de lumière que la ville a revêtus, musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem) ici et ombrière géante là, pour tenter de croire qu'il devient enfin capitale. Jusqu'à la fin de l'année, d'ailleurs, il l'est. De la culture. En Europe. Le bilan de l'événement viendra en temps voulu. En attendant, voilà l'occasion d'un joli séjour pour prolonger l'été et découvrir quelques lieux moins visités que les sempiternels Vieux-Port, Panier et Bonne Mère.

Le Roucas-Blanc

Sur le versant sud de Notre-Dame de la Garde (autrement dit la Bonne Mère), descendant vers la mer en une pente sévère et ignorant superbement le reste d'une ville à l'agonie, le Roucas-Blanc est une enclave de bien-être, un monde à part que l'on pourrait croire interdit aux gueux et aux manants. Un paradis préservé dont les beaux jardins, les sobres bastides d'antan et les résidences tape-à-l'œil plus récentes sont entourés de hauts murets mangés par une exubérante végétation.

Un havre de tranquillité solaire et parfumée, un balcon doré ouvrant sur l'infini de la baie marseillaise, tout simplement une des plus belles au monde.Refuge de longue date des rich and famous, le Roucas-Blanc, le «Rocher-Blanc» en provençal, est tout cela. Mais pas que. Dans un passé pas si lointain, le quartier accueillit aussi des immigrés, italiens souvent, que son relief accidenté et ses terrains malcommodes, à l'époque presque bon marché, rebutaient moins que d'autres. Ils y importèrent leur courage, des habitudes villageoises et, au prix de beaucoup d'efforts, édifièrent leurs maisons sur la dure roche calcaire, la même que celle des calanques voisines. Si, à l'argus de la propriété, l'endroit a pris du galon, pour quiconque possède une paire de baskets, un peu de souffle et de solides mollets, il y a encore de la beauté en abondance pour le prix d'un simple ticket de bus.

Sur la Corniche, le 83 vous déposera au pied de cette colline du bonheur. Après, place au sport et à la poésie. Il faudra gravir des ruelles où deux voitures ne peuvent se croiser, s'arrêter, respirer l'odeur des pins et de la garrigue qui résistent au béton, admirer les anciennes villas d'été des Marseillais enrichis par le port, s'étourdir des innombrables points de vue panoramiques, emprunter d'étroites volées d'escaliers et s'imaginer dévalant leur pente glissante dans le brouhaha joyeux de l'enfance et des coups de cartable. Leurs seuls noms fixent le programme : montée de la Napoule, montée du Roubion, montée du Plateau, traverse des Voyageurs, traverse du Génie, val de la Baudille et escalier du Prophète. Fiez-vous à la prédiction muette de ce dernier : «Tout ici n'est que calme, luxe et volupté.»

Les Goudes

Où Marseille est-il encore Marseille ? C'est-à-dire mélangé et non pas ghettoïsé, populaire et pas simplement pauvre, relax et tchatcheur plutôt que débraillé et gueulard ? Aux Goudes, pardi, sur l'unique route sinueuse qui, entre mer et rochers acérés, conduit à Callelongue, point final géographique de la cité phocéenne et début de la transhumance randonnière dans le parc national des calanques.

Les Goudes ? Marseille pur aïoli. Ecoutez le guide, en l'occurrence Massilia Sound System, l'emblématique groupe de reggae occitano-provençal des années 90 : «On va passer un dimanche aux Goudes, en famille, entre amis, que l'on soit riche ou non. C'est un plaisir que personne ne boude, le rêve marseillais un soir d'été au cabanon. Oui, passer un dimanche aux Goudes...»

Dans Marseille aux 111 villages, appellation et réalité en voie de disparition, celui-là plaît à tout le monde. De tous les bouts du monde dont une géniale géologie a doté la ville, voilà un des plus fascinants. A l'entrée, placée au milieu de la route, une barcasse pour rappeler qu'ici la pêche a nourri les hommes avant de céder la place aux voiliers de plaisance et à l'hédonisme vacancier.

Attraper la gallinette, le bar et le sar pour en vivre devient rare, mais, autour du petit port, malgré la pression immobilière, les cabanons des travailleurs de la mer sont restés à touche-touche. Les Goudes appartiennent au VIIIe arrondissement de Marseille, mais les autochtones ont dans la tête la frontière invisible d'un pays perdu où un simple coucher de soleil, le bruit des vagues, quelques paroles échangées sur le pas d'une porte et un verre de vin sous les étoiles font une journée parfaite.

Fabio Montale, le drôle de flic de la trilogie policière (Total Khéops) de feu l'écrivain et journaliste Jean-Claude Izzo, s'y retirait pour écluser ses chères bouteilles de lagavulin, pleurer les amis disparus et contempler la masse menaçante et tourmentée de Maïre, l'île déserte où les gabians (goélands) règnent en maîtres absolus. Plus que partout ailleurs l'antique Massalia prend ici les couleurs de la Grèce de ses fondateurs phocéens. Attention : les week-ends, quand il fait beau, ce qui n'est pas rare, tout Marseille accourt. C'est une occupation pacifique, mais le nombre est rarement l'ami du bien.

La Redonne,

le Petit- et le Grand-Méjean

Il y a calanques et calanques. Les plus connues, fréquentées chaque année par près de 2 millions de visiteurs, s'étendent entre la cité phocéenne et Cassis et sont devenues parc national en avril 2012. Et puis il y a les autres, à l'ouest de la cité, moins spectaculaires, dit-on, mais pas moins étonnantes, étagées sur le petit massif d'origine pyrénéo-provençale qui domine le rivage jusqu'a l'embouchure de l'étang de Berre. Patronyme officiel : la Côte bleue.

Longtemps, ce fut surtout celle des Marseillais, ignorée des touristes mais accueillante aux prolos, ouvriers des savonneries ou dockers du port, notamment grâce à une courte ligne de chemin de fer entre Marseille et Martigues, édifiée non sans mal au début du siècle précédent. Bordée de plages et de pinèdes, une partie du littoral y a pris désormais le visage banal, même à échelle réduite, de toutes les enflures azuréennes, villas somptueuses, marinas sans âme et parkings envahissants. Mais, du côté d'Ensuès-la-Redonne, une nature retorse, comme l'action décidée du Conservatoire du littoral, interdit à tout jamais le pire. Accessible par une route unique depuis le centre du village situé plus haut, sur un plateau, lovée autour d'une anse de carte postale, la Redonne est la première étape d'un voyage miraculeux à travers un paysage de Méditerranée éternelle.

Ancien pêcheur, Gérard Chevé y vit depuis toujours comme avant lui ses parents et ses grands-parents. Il a connu l'époque où ceux du littoral et ceux des collines se détestaient cordialement et ne s'adressaient pas la parole quand ils se croisaient à la terrasse d'un troquet où quelques truands d'anthologie, (Mémé Guérini entre autres) et leurs gagneuses venaient oublier les soucis de leur dur métier. Aujourd'hui, tous se considèrent comme les derniers Mohicans, dépositaires d'un art de vivre bousculé par la modernité marchande et les turbulences de la grande ville toute proche. S'il était plus jeune, l'homme dit qu'il partirait tant la nostalgie de ce qu'il a connu l'emporte sur les bienfaits que lui procure encore son coin de paradis. Ceux qui poursuivront le périple jusqu'au terminus auront du mal à le croire.

Quittant la Redonne, étroite comme une simple ruelle à certains endroits, la route grimpe alors dans le massif, tourne au milieu de la caillasse ou des brassées de pins et débouche sur l'éblouissement des calanques du Petit- puis du Grand-Méjean. Quelques cabanons, encore et toujours, autant de villas posées sur les rochers comme des sentinelles de haute couture, une poignée de criques pour des baignades intimes et, après un petit quart d'heure de marche facile, soudainement un autre vertige : au loin Marseille tout entier, animal et scintillant dans le soleil.

Le massif du Garlaban

Il y a Proust - «longtemps je me suis couché de bonne heure». Et, plus modeste, Pagnol - «Je suis né dans la ville d'Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers.» A cette seule évocation, les snobs tordent le nez. Pagnol, c'est trop... pagnolesque. Trop lu, trop vu, trop entendu. Ceux-là n'iront pas voir le Garlaban. Ils ne manqueront pas à tous les autres bienheureux, ravis de découvrir ce décor d'exception. Outre que la qualité littéraire des Souvenirs d'enfance de Pagnol peut faire rougir bien des plumitifs en vogue, voilà une des merveilles naturelles dont les Marseillais peuvent jouir à une vingtaine de kilomètres de leurs embouteillages réputés parmi les pires de France.

Si la Côte bleue est leur Riviera, le Garlaban est leur montagne : 714 m dressés comme un chapeau de gabelou, visible de très loin, et, à ses pieds, un océan de rocailles escarpées ou de frais vallons, où poussent ajoncs, cistes, genévriers, thym et romarin et même quelques rares plans de lavande. Entre les descriptions passées à la postérité de la Gloire de mon père et le paysage actuel, des incendies à répétition ont pris des milliers d'hectares de végétation au massif. «Les anciens évoquaient des forêts de pins, des grands arbres surplombant les Barres, là même où Pagnol situe la fameuse scène de la chasse aux bartavelles, explique Anthony Chesneau à l'office de tourisme d'Aubagne, mais, quand Yves Robert a réalisé son adaptation du livre, en 1990, il a dû tourner ailleurs, car de ce passé, très boisé, il ne reste rien.» Mais ce rien fait un tout admirable, car aucun obstacle n'y arrête le regard.

Au loin, par temps clair, on peut apercevoir Notre-Dame de la Garde alors que pas un bruit ne dérange ce «désert de garrigue», qui du temps de Pagnol, du moins l'écrivait-il, «va d'Aubagne jusqu'à Aix». A Aubagne même, avant, ou après, un des nombreux circuits que l'office de tourisme organise sur le Garlaban et ses alentours, vous pourrez visiter le petit musée consacré à l'écrivain ou encore une crèche Pagnol conçue par les santonniers de la ville, de loin les plus réputés de la région. Dans la foulée, poussez jusqu'aux tranquilles villages environnants, Allauch, La Treille, le plus marqué par les traces de Pagnol, Auriol ou Saint-Zacharie. La Provence n'y a pas encore tout à fait disparu...

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