
Harlem Désir, Jean-Marc Ayrault et Martine Aubry au congrès du PS à Toulouse le 27 octobre 2012 (CHAMUSSY/SIPA)
Mauvais temps, salles dépeuplées : le congrès de Toulouse n'enthousiasmait personne. Vendredi, sur les réseaux sociaux, les militants socialistes râlaient.
Reconnaissons qu'il y avait mieux ailleurs. Le débat Copé/Fillon, la veille, avait fait un flop d'audience, mais démontrait aussi le désarroi idéologique et la confusion stratégique de la droite, malgré une opposition au gouvernement très bien organisée (et d'une rare violence). Les éditorialistes s'acharnaient à décrypter ce faux duel entre "Moi, le maire de Meaux" et "Moi, le père de tous les maux". Les intempéries en France monopolisaient les JT et reléguaient Toulouse en information anecdotique de trente secondes. Les grands patrons – ou gros poissons, à opposer aux pigeons et autres dindons du moment – lançaient un pavé dans la mare en publiant leurs préconisations pour améliorer la compétitivité de l'économie française. Cette tribune dans le "Journal du dimanche" a parasité une bonne partie du congrès.
"To Lose"
Alors, oui, à côté, Toulouse, c'était un peu la "lose". Et pourtant, les militants ont tenté d'y apporter un peu de flamme durant quelques moments-clés.
Le discours de Ségolène Royal, en maîtresse d'école distribuant les bons points mais rappelant que cela ne suffira pas pour obtenir des lauriers en fin de mandat.
Le discours d'Emmanuel Maurel, l'atout "neuf" de ce congrès de vieux briscards, qui permettait de donner l'élan emphatique et idéaliste à un PS tétanisé par le pouvoir, les énarques et l'héritage de la droite.
Celui de Jean-Marc Ayrault n'était pas mauvais non plus. Mais le Premier ministre prend tellement l'eau qu'il a maladroitement mélangé un bilan, précoce, et une perspective, toujours aussi floue.
Définitivement, ce qu'on retiendra (enfin, relativisons), ce sont les deux discours fondateurs : celui de la sortante, Martine Aubry et celui de son successeur, Harlem Désir.
Pour les Français, ces deux faces de la même pièce ne bousculeront pas leurs impressions sur le PS. Pourtant, ils montrent deux manières de voir l'action politique dans un contexte de crise économique, sociale, morale, psychologique.
Martine Aubry se donne les moyens de ses ambitions
Martine Aubry s'est positionnée sur un terrain économique, reprenant à son compte la devise de Bill Clinton, "It's the economy, stupid". La maire de Lille a enfin clamé un texte bien écrit, précis, constructif, dynamisé par des propositions intéressantes. Ce discours technique, politiquement rassembleur, évidemment flatteur, est un paradoxe. Elle n'a jamais été aussi bonne que samedi.
Et pourtant, elle quitte la scène nationale. Certains diront qu'elle a pris date pour un avenir plus ou moins proche. D'autres qu'elle reprend sa liberté et qu'elle se veut simplement utile.
Reste que c'est la seule à avoir aidé l'exécutif en parlant de compétitivité et d'emplois. La mère des batailles se situerait là, selon elle. Martine Aubry n'a pas tort. En bonne connaisseuse des dossiers, elle suggère des pistes, encadre les enjeux, installe les règles du débat. La voilà, celle qui pourrait s'opposer aux gros poissons. En faisant ses premiers adieux – comme les chanteurs, elle reviendra, n'en doutons pas –, Aubry, idolâtrée par une grande partie de la base, doit digérer un échec autrement plus flagrant : elle ne s'est jamais donnée les moyens de ses ambitions…
Harlem Désir a trouvé son ennemi
Son successeur Harlem Désir ne l'a pas concurrencée et a préféré donné un autre angle à sa future action. Sans être une révélation, son discours a porté comme il fallait : il a permis au nouveau premier secrétaire d'exister et d'enfiler le costume, faisant oublier les conditions de son élection ou même les critiques à son égard. Désir a placé son mandat sous le socialisme du réel, avec un vocabulaire déterminé, combatif.
C'est en s'opposant à la droite qu'il a marqué le plus de points. Puisque la gauche est au pouvoir et encaisse les mauvais coups, que la droite cogne, il frappe. Il n'est pas là pour suppléer au gouvernement, il est là pour le protéger : le gouvernement en a besoin, tant sa communication est brouillonne et son action illisible.
Il est aussi là pour éviter des catastrophes électorales. La crainte d'un FN de plus en plus fort est dans sa ligne de mire. Dans son discours, où les petites phrases et les jolies piques ne manquaient pas, Désir a trouvé son ennemi : la montée du FN, la trahison des idéaux gaullistes, la revendication des valeurs de gauche à travers la défense des 60 propositions de Hollande.
Certains élus en seront pour leurs frais (cumul des mandats, mariages pour tous, droit de vote des étrangers : autant de sujets polémiques qui gênent certains barons et qui ont été ovationnés), car Désir assume et s'affirme par la même occasion. On pourra dire que c'était facile, de bonne guerre. Mais il fallait bien réveiller un congrès ennuyeux. À défaut d'avoir suscité le désir, Harlem Désir a fait plaisir aux militants qui se demandaient ce qu'ils faisaient dans cette ville rose.
Un congrès historiquement inutile
On le jugera aux résultats. Pour l'instant, ce congrès aura été, historiquement, politiquement, assez inutile ; on y a vu un premier secrétaire inspiré et consensuel, une ancienne première secrétaire qui a quitté le poste avec panache, une aile gauche suffisamment vivante pour se croire indispensable, un Premier ministre encouragé et soutenu.
C'était une séance de "cajolo-thérapie" pour un parti complètement sonné par l'héritage calamiteux de 5 ans de sarkozysme et grisé par cette ivresse du pouvoir dont ils avaient été sevrés depuis 10 ans.
Ce que Toulouse a montré, avant tout, c'est que le Parti socialiste ne sait pas quel est son rôle dans ce nouveau contexte : réservoir à idées ? machine de combat ? gardien du temple ? Doit-il être de tous les débats pour soutenir, améliorer les arbitrages les plus complexes ? Ou au contraire être un rempart face aux invectives de l'UMP et aux dérives d'une droite de plus en plus réactionnaire ?
De grandes indécisions
Aubry et Désir n'ont pas su faire la miraculeuse synthèse des congrès antérieurs. Derrière l'unanimité affichée, se cachent de grandes indécisions. À charge pour Désir de fixer le cap et de trouver les armes pour attaquer l'avenir.
Mais ne blâmons pas le PS. L'UDI de Borloo, l'UMP, le MoDem et dans une moindre mesure les Verts, et ceux plus à gauche sont dans le même état : les partis politiques français sont en reconstruction. Un immense chantier démocratique où chacun des architectes peinent à convaincre les Français que la politique sera à leur service, au quotidien. Martine Aubry a donc raison de s'en soucier.
Mais, du duel à l'UMP au congrès socialiste, la réalité était peut-être la grande absente de ces derniers jours. Cela entraîne des propos démagogiques ou populistes de plus en plus naturels dans la sphère politique, flattant les citoyens par des idées simplistes plutôt que de respecter avec pédagogie. Et là, reconnaissons qu'Harlem Désir a raison d'avoir peur d'une lepénisation des esprits.