samedi 20 octobre 2012

Paris rouge contre Paris brun - Marianne

Métronome, dont les édiles de gauche ont étrangement cherché à faire un guide quasi officiel en remettant à Deutsch la médaille de vermeil de la capitale en juillet dernier. Une distinction qui a heurté nombre d'historiens et provoqué une polémique autour des thèses réactionnaires et des perles contenues dans le livre.

Le Paris de la Révolution vu par Lorant Deutsch ne retient en effet que la guillotine et divers débordements. C'est au fond un anti-Paris, où le peuple a disparu, au profit d'aristocrates et de gloires diverses. Son succès ne tient pas à sa plume plate, pour tout dire navrante, mais aux anecdotes qui substituent les people de l'histoire à la geste du Paris populaire, celui de la Bastille, des barricades de 1848 et de la Commune. Un Paris qui n'est pas cet acteur majeur, affirmé comme une entité lors de la prise des Tuileries, le 10 août 1792, renouvelé aux Trois Glorieuses de 1830, abattu, châtié pour l'audace de sa Commune, lors de la Semaine sanglante, la dernière de mai 1871.

Bien sûr, Paris est une ville aux multiples facettes. Il se trouve qu'Eric Hazan, lui, les regarde toutes dans l'Invention de Paris, beau livre longtemps épuisé, aujourd'hui réédité. Paris y apparaît à la fois comme une capitale royale, ville des arts et des lettres, des sciences et des Lumières, mais aussi comme un concentré de misère, une ville industrielle, un Paris rouge. Eric Hazan a réellement écrit la somme de Paris. La ville s'étend sous sa plume, comme elle le fit dans ses mutations successives. Rive droite, du Carrousel inséré dans le Louvre jusqu'aux Grands Boulevards, limite de la ville tracée par Louis XIV. Rive gauche, du Quartier latin, ville romaine comme son nom l'indique, au faubourg Saint-Germain.

Hazan suit ensuite l'extension, les anciens faubourgs intégrés à la capitale, puis les villages, de Vaugirard à La Villette, d'Auteuil à Charonne. Au long de ces promenades, Eric Hazan multiplie les récits historiques et les rencontres littéraires. Sans nostalgie, il restitue l'histoire de chaque lieu, ou celle de leur signification sous le regard de Voltaire ou de Léon-Paul Fargue, il croise Walter Benjamin et Alexandre Dumas. Il passe dans ces souterrains où Nadar réussit en 1860 une prouesse technique : des photographies en lumière artificielle.

Eric Hazan sait ce qui appartient au romancier : la façade de Notre- Dame de Paris, reconstituée par Viollet-le- Duc d'après la description de Victor Hugo. Ou encore l'histoire des égouts de Paris, dont Hugo fait une extravagante digression littéraire, une fabuleuse parenthèse de plus de 60 pages dans Les Misérables. En effet ! Le poète place une thèse sur le cloaque au coeur du suspense, après l'épisode de la barricade, lorsque Jean Valjean portant Marius blessé y descend. Il évoque cette scène, aux Invalides, quand, devant les vainqueurs des batailles les plus glorieuses, Napoléon salue l'homme le plus téméraire de son empire, l'ingénieur qu'il a chargé de dresser le plan des égouts et souterrains de Paris. « L'égout, écrit Victor Hugo, c'est la conscience de la ville. Dans ce lieu livide, il y a les ténèbres, mais il n'y a plus de secret. Toutes les malpropretés de la civilisation, une fois hors service, tombent dans cette fosse de vérité où aboutit l'immense glissement social. » Voici Paris posé sur l'infinité de ce sous-sol, d'où Jean Valjean s'extrait pour dénouer Les Misérables, en poussant Javert à expier dans la Seine… Rien ne manque à cette réinvention de Paris par Eric Hazan. Les cercles concentriques de l'expansion urbaine, en surface, et en profondeur, de la Cloaca maxima hugolienne au métro devenu la base géographique de la métropole. Paris a pour points cardinaux les terminus du métro. Hugo était une fois de plus prémonitoire : l'identité de Paris passe aussi bien par ce sous-sol où descendit Jean Valjean que par ces souterrains du métro que Raymond Queneau ferma malicieusement devant Zazie.

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