Le Paris du futur d'Arthur Bernard est spar en deux espaces distincts, un quartier d'affaires et de pouvoir et, de l'autre ct, une zone culturelle.
LE FIGARO. - Pourquoi avoir choisi la date de 2040?
Arthur BERNARD. - C'est d'abord un clin d'œil Louis-Sbastien Mercier, auteur du XVIIIesicle, qui a crit L'An 2440, un des premiers romans d'anticipation, qui se passe dans un Paris transport sept cents ans aprs la naissance de l'auteur, en 1740. Ensuite, je ne me sentais pas capable d'inventer une histoire davantage avance dans le temps; 2040 n'est finalement pas si loign de nous! Et, enfin, j'aurai 100 ans en 2040 et ne serai donc probablement plus de ce monde. Le personnage principal, Gaby, est n comme moi le 11juin 1940…
Ce Paris dcapitalis, prophtie ou pure imagination fantasque?
Aragon a parl du mentir-vrai comme art romanesque. L'essentiel est que le mensonge paraisse vraisemblable. Dans mon livre, largement mtaphorique et allgorique, j'ai rintroduit beaucoup d'allusions au XIXesicle pour montrer que nous vivons largement sur des fantasmes de cette priode de l'histoire. La dcapitalisation a t souvent rve, gnralement pour prvenir l'hypertrophie de la capitale, mais aussi pour punir la ville rvolution de ses dbordements. J'ai imagin un Paris ddoubl dans une proximit territoriale. J'ai aussi voulu montrer, en la projetant dans l'avenir, la continuit de l'histoire de France, ce que Tocqueville a magistralement thoris dans L'Ancien Rgime et la Rvolution: il y a toujours de l'ancien dans le nouveau et toujours du nouveau en germe dans l'ancien.
Comment avez-vous illustr cette continuit dans le Paris du futur?
Notamment en dmnageant les ministres et l'lyse devant la basilique Saint-Denis, mon dsir tait de montrer quel point la Rpublique tait reste profondment monarchique. Pour illustrer cette ide, on peut voir les vitraux de la basilique se reflter dans les vitres des tours ultramodernes de la prsidence de la Rpublique.
Que signifie ce Paris scind en deux, Paris I et Paris II, spar par un mur invisible?
Deux mondes bien distincts s'opposent entre ces deux Paris. Le Paris I, totalement dshumanis et en permanence sous tension lectrique, est celui des affaires et du pouvoir. J'ai choisi de le situer dans le quartier de la Dfense, ce qui n'est pas anodin. Paris II, lui, est celui de la culture, des thtres, des muses, de la vie nocturne, de la remmoration du pass. Plong dans la pnombre, il permet de respirer, de se rencontrer un peu partout, dans la vieille Bibliothque nationale, au Pre-Lachaise… de choisir, en somme, d'tre visible ou invisible. La nuit, dans Paris II, se vit pleinement et sans peur du noir, alors que Paris I en est terroris. Depuis la fin du XVIIesicle, le pouvoir a toujours voulu clairer Paris pour mieux contrler ses populations dangereuses.
Une inquitude latente se manifeste aussi au travers d'une tour de contrle infaillible au-dessus de Notre-Dame de Paris…
Je trouve notre socit contemporaine, donc celle de 2040, bien plus inquite qu'il y a cinquante ou soixante ans. On a peur de sa peur: cela s'appelle l'angoisse! Le sentiment d'inscurit grandit, alors que l'inscurit la plus meurtrire a plutt recul depuis un sicle. Ce paradoxe ne peut qu'aller s'aggravant. Dans Paris en 2040, les plus aiss, les plus protgs, sont les plus angoisss et cherchent se cadenasser par tous les moyens, rester dans l'entre-soi, y compris par un mur invisible lectriquement mortel. Il faut se protger contre la banlieue (lieu du bannissement), qu'on pourrait appeler zone inquitante, peuple majoritairement par les exclus de toutes sortes et constituant une masse potentiellement encline la rvolte. Mais, attention, tout a n'est qu'une fable, un songe rv par un vieil homme endormi sur le pont des Arts en 2010!
Paris en 2040, Arthur Bernard, ditions Parigramme, 15euros.
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